Santé mentale : pourquoi est-ce si difficile d’en parler ? (Psychologies Magazine - 14/04/2021)

14/04/2021

Alors que les Français n’ont jamais été aussi nombreux à souffrir de stress, d’angoisse et d’anxiété, et plus généralement de troubles psychiques, le gouvernement a lancé une campagne nationale pour inviter chacun à oser s’exprimer sur son mal-être. Cependant, il est souvent difficile de parler de ce sujet. Explication avec Eudes Séméria, psychologue.

 

Qu’est-ce qui nous retient d’évoquer nos soucis de santé mentale ?
Parler d’un souci de santé mentale, que ce soit une anxiété, une dépression ou des troubles psychiques comme la schizophrénie ou la bipolarité, c’est révéler une faille, montrer un signe de faiblesse. Ce n’est pas évident d’accepter de paraître vulnérable dans notre société. Mais le problème n’est pas seulement que l’on a peur d’être jugé. On a surtout peur de fragiliser notre lien à l’autre.

Que voulez-vous dire par là ?
On a peur qu’après s’être confié sur nos troubles, l’autre ne nous fasse plus confiance. Par exemple, si vous dites que vous êtes bipolaire dans votre entreprise, on va hésiter à vous confier des dossiers importants. Cette réaction montre bien que les gens ont une profonde méconnaissance des troubles psychiques. En réalité, ce n’est pas parce que l’on a un trouble psychique que l’on est irresponsable.

Est-il plus facile de parler à un psy qu’à un proche ?
De mon point de vue, la plupart des troubles psychiques sont des maladies de la relation, c’est-à-dire qu’ils sont fonction du croisement de toutes les relations que vous avez avec les gens qui vous entourent, et donc principalement des membres de notre famille. Se confier en famille est donc souvent contre-productif. Les amis me semblent être de bien meilleurs interlocuteurs. Les professionnels ont quant à eux l’avantage d’être neutres et extérieurs à la situation, tout en ayant en plus des connaissances pour aider la personne.

La peur est-elle uniquement du côté de celui qui se confie ?
Non, effectivement, il peut y avoir une peur de la part de la personne à qui l’on se confie. Les paroles de la personne qui parle trouve un écho dans celle qui les reçoit, il y a un effet miroir. Et cela peut mettre mal à l’aise, voire faire peur. Si on ne veut pas attendre ce que l’autre a à nous dire, c’est que l’on a peur de la contagion. Or, si on prend l’exemple de l’anxiété, la peur peut être contagieuse, mais pas l’angoisse ! En fait, avoir peur de recevoir l’information en dit beaucoup sur nous-même et nos propres peurs.

Il peut aussi y avoir une mécompréhension…
Tout à fait. C’est par exemple le cas lorsqu’une personne se confie sur sa dépression. Si on n’en a pas soi-même vécu, on comprend mal ce que la personne vit, on a envie de lui dire de se secouer, ce qui ne va pas du tout l’aider ! Plus globalement, c’est le problème des troubles psychiques : ils sont invisibles, impalpables, et c’est difficile de les comprendre. Or, l’incompréhension, comme la peur dont on parlait juste avant, renforce le tabou.

Justement, une campagne comme celle lancée début avril par le gouvernement peut-elle aider à faire évoluer les choses ?
Ce n’est pas la première campagne du genre, mais oui, bien sûr, c’est toujours positif d’inciter les gens à parler de leurs soucis psychiques. Dans mon cabinet, je reçois souvent des gens qui sont en fin de course, qui ont attendu trop longtemps avant de demander de l’aide. C’est regrettable d’en arriver là alors qu’il est possible d’agir plus tôt. Cependant, inviter à parler, ce n’est pas assez : la prévention, c’est aussi de la psycho-éducation.

De la psycho-éducation ?
Oui, on utilise trop souvent des mots sans savoir ce qu’ils veulent dire. Par exemple, on pense qu’un schizophrène est quelqu’un a deux personnalités, ce n’est pas du tout ça ! Ou encore que soigner un trouble psychique, ça veut forcément dire prendre des médicaments… En France, il y a une grave méconnaissance de la réalité des troubles psychiques, et pas seulement : il y a aussi une grande méconnaissance des métiers de la psychologie. On a beau dire et répéter quelles sont les différences entre un psychiatre, un psychologue, un psychothérapeute… les gens sont toujours perdus, ils ne retiennent pas l’information. Mais c’est tellement important pour tous qu’il faut continuer à l’expliquer.

Est-ce qu’une série comme En thérapie, diffusée ce printemps sur Arte, peut aussi aider à changer l’image que l’on a de la psy ?
Sans aucun doute ! Cette série est un succès et c’est une bonne nouvelle. La série d’Arte est symptomatique de l’intérêt des gens pour la manière dont on peut traiter les problématiques psychiques. Il y a des millions de gens qui consultent et des millions qui ne consultent pas et qui devraient, sans compter ceux qui pensent que ça ne sert à rien. Donc en parler, ça peut les aider.

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